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Cinq questions à Michelle Allen, auteure de L’empereur

EMMANUELLE PLANTE Collaboration spéciale emmanuelle.plante @quebecormedia.com

Michelle Allen nous a souvent offert des trames aux relations complexes. Que ce soit avec Un tueur si

proche, Fugueuse ou L’Échappée, elle nous a aussi amenés dans des zones troubles où des personnalités manipulatrices trouvent la faille pour s’emparer de leurs proies. Ces narcissiques fascinent. Ils arrivent parfois à tirer leurs ficelles si subtilement qu’il en devient difficile de déceler le bien du mal. Cette ère de mouvement #MoiAussi est propice à faire l’autopsie d’un abuseur en série qui n’en a pas l’air. C’est le cas de Christian Savard dit L’empereur. Un agresseur qui a sévi pendant une décennie et qui, comme tant d’autres, s’en est toujours sorti.

À quel moment avez-vous décidé de plancher sur une série mettant en relief les patterns d’un agresseur au quotidien ?

En 2018, un peu après le début du mouvement #MeeToo. Beaucoup de choses me faisaient réfléchir et j’avais du mal à trouver des réponses. Il y avait des

séries comme The Morning Show ou The Loudest Voice. Je me demandais comment ces agressions avaient pu durer. Je suivais aussi l’affaire DSK et Anne Sinclair [Dominique StraussKahn, ancien ministre français et directeur du Fonds monétaire international a été accusé d’agression sexuelle alors qu’il était marié à la grande journaliste]. Je me disais : mais qu’est-ce qu’elle n’a pas vue ? En remontant dans mes souvenirs, j’ai vécu des histoires désagréables. Je n’en ai pas parlé. Je ne me voyais pas comme une victime. Je ne referais plus ça.

Le personnage de Christian (Jean-Philippe Perras) se présente comme un bon gars. Il laisse croire aux femmes que c’est leur faute s’il commet des gestes déplacés. C’était important d’entretenir cette ambiguïté ?

Les agresseurs sont souvent présentés comme des êtres arrogants et désagréables. Il y a toutes sortes d’agresseurs. Christian est dans la catégorie des opportunistes. Il ne fait pas de plan à l’avance, il n’a pas une libido désaxée. Il saisit les occasions. Je n’exclus pas qu’il soit narcissique. Il a l’impression que c’est de l’amour qu’il donne. Ce sont les seuils qui sont troublants. Les limites. Lui, il est certain que ses gestes sont consentis. Au début c’est innocent, mais à un moment donné, ce ne l’est plus. Weinstein [Harvey] à ses débuts devait être plus subtil alors qu’après 10 ans il devait être complètement désagréable.

Pourquoi avoir choisi de camper l’histoire sur deux époques : 2005 et 2015 ?

Ce qui se passait en 2005 est très différent. On avait fait des gains en tant que femme en 2005. C’était normal et courageux d’encaisser. On était fière de ne pas être une victime. Il y avait une libération. Les femmes avaient une sexualité affirmée. Elles pouvaient comme les hommes ne plus mêler le sexe et l’amour. Les femmes ont appris à naviguer dans ces normes-là. Je voulais aller rappeler d’où on vient. On parlait de « mononcle » et le mot « consentement » n’existait pas. Tout est très clivé, polarisé. Je voulais rappeler les nuances, les zones de gris.

La série présente plusieurs archétypes de victimes. Est-ce pour éveiller les consciences ?

Je ne me suis pas répétée. Chaque femme a des désirs et des réactions différentes. Manuela n’a pas la même histoire que Maude, Florence ou Marilou. Je n’ai pas voulu transmettre de message. Je ne suis pas rentrée dans le juridique. Je ne dis pas quoi faire. Je montre des comportements différents et ce que les femmes vivent à travers ça personnellement, professionnellement, avec leur entourage. Parce qu’il y a aussi des victimes collatérales. La soeur de Christian, Audrey, en est une par exemple. Olivia [sa conjointe] aussi. La possibilité d’abus est universelle. Il y en a dans tous les milieux. J’ai entendu tellement d’histoires dans le domaine des avocats, des médecins spécialistes. Le monde de la pub était plus permissif, moins austère. En plus, Christian valorisait une image profemme.

À force de ne pas se faire prendre, un agresseur en vient-il à se sentir intouchable ?

Je le crois. Tous ces gens qu’on met sur un piédestal, leur impunité se construit. On les excuse. On admire les visionnaires, mais souvent ce sont des gens qui transgressent des règles. Christian a un désir d’expansion. Il ne respecte pas les limites. C’est accepté, c’est correct, c’est félicité. Il y a une banalisation des conséquences.

L’empereur, mercredi 20 h sur Noovo.

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2023-01-21T08:00:00.0000000Z

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