Le Journal de Montréal

UN AUTOMNE SIGNÉ MOELLE GRAPHIK

JEAN-DOMINIC LEDUC Collaboration spéciale

La modeste structure éditoriale basée dans la vieille capitale à qui l’on doit notamment l’extraordinaire Traces de mocassins de Louis Rémillard, le fabuleux collectif René Lévesque, quelque chose comme un grand homme et le percutant Vous avez détruit la beauté du monde de Christian Quesnel, Isabelle Perreault, André Cellard et Patrice Corriveau récidive ces jours-ci avec deux des albums phares de la production locale de 2022.

Il y a de ces albums qui vous habitent, vous font vaciller et vous traversent comme Le petit astronaute de Jean-Paul Eid et Paul à la maison de Michel Rabagliati. Un nouvel album de cette si rare et précieuse richesse pointe le bout de son nez ces joursci en librairie après 7 ans de durs labeurs : Géant aux pieds d’argile de Mark McGuire et Alain Chevarier. Retenez bien ces deux noms, vous en entendrez parler dans les années à venir.

HOMMES 2.0

Deux pères à la maison se lient d’amitié après une rencontre au gymnase de l’école que fréquentent leurs enfants, l’un, renfrogné et mesurant près de 7 pieds, l’autre, affable. Tous deux fraternisent rapidement, partagent une passion commune pour le basketball et échangent sur leur parentalité. Tous deux font face à leurs blessures et tenteront de s’en affranchir pour briser le cycle, à leur manière.

« Au point de départ, il y avait trois personnages masculins. Puis nous avons fait le choix de l’authenticité, de l’autofiction. Nous avons puisé en nous le courage pour y arriver », expose le scénariste Mark McGuire.

« Nous avons également opté de mettre en scène deux hommes progressistes, véhicule parfait pour explorer certains angles morts », renchérit l’illustrateur, qui avoue du même souffle avoir effectué un retour au dessin grâce à Isabelle Arseneault, dont la sensibilité et la puissance évocatrice graphique émanent d’une même source.

L’album aborde de front la détresse des hommes. Sujet tabou, il va sans dire, et pourtant des plus actuels alors que le Québec fait face à une vague de féminicides sans précédent. Il pose également les questions : sommes-nous condamnés à transmettre la colère comme tare génétique à nos fils ? Comment l’homme moderne peut-il s’affranchir du masculinisme toxique et du rôle classique auquel il se contraint depuis des millénaires ? « S’il peut venir en aide à des lectrices et lecteurs, tant mieux. C’était important que notre BD ouvre un espace masculin pour exprimer des émotions », ajoute McGuire.

Nourri aux Fun Home d’Alison Bechdel, The Best we could do de Thi Bui et Combat ordinaire de Manu Larcenet, le tandem, épaulé par l’artiste et éditeur Marc Tessier, a travaillé côte à côte, s’inspirant et se surprenant mutuellement, arrivant ainsi à une fusion parfaite.

Dense et sombre, le récit propose des moments d’hilarité en guise de contrepoids, offrant de surcroît une finale lumineuse. Faisant oeuvre utile, Géants aux pieds d’argile convie tant les femmes et les hommes au dialogue et à l’ouverture, alors que nous vivons dans un monde plus polarisé et divisé que jamais. Une oeuvre géante, solidement ancrée, nécessaire.

WEEKEND / LIVRES

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2022-11-26T08:00:00.0000000Z

2022-11-26T08:00:00.0000000Z

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