Le Journal de Montréal

« Je me souviens »… de quoi, au juste ?

JAMES JACKSON Historien et chroniqueur Collaboration spéciale

Si l’on veut que la devise du Québec, « Je me souviens », soit autre chose qu’une simple phrase laconique sur des plaques d’immatriculation, il faut que cette promesse implicite de se souvenir du passé soit prise au sérieux par tout gouvernement qui prétend défendre la langue des Québécois et d’affermir leur identité.

C’est Eugène-Étienne Taché, l’architecte de l’Hôtel du Parlement de Québec, qui est à l’origine de la devise et qui l’a fait attacher au fronton de l’édifice lors de sa construction au milieu des années 1880.

Si Taché n’a jamais dit explicitement de quoi il fallait se souvenir, pour ses contemporains le message était clair : il invitait les parlementaires à se souvenir du passé et de ses leçons.

LEÇONS OUBLIÉES

Mais les leçons du passé sont vite oubliées. Pour l’historien de la période des patriotes que je suis, le grand débat entourant le projet de loi 96 et les audiences tenues à l’Assemblée nationale en septembre et octobre 2021 avaient un air de déjà-vu.

Les vives réactions négatives de la communauté et des médias anglophones avant et après l’adoption du projet de loi par l’Assemblée nationale en mai 2022 rappelaient celles que provoquait la lutte de Papineau et le Parti patriote dans les années 1830 pour des réformes démocratiques.

RÉFORME

Les revendications des Canadiens, comme on désignait alors les habitants francophones du Bas-Canada, portaient principalement sur une réforme constitutionnelle du système gouvernemental.

Elles formaient la base des 92 Résolutions, une sorte de cahier de doléances, rédigées par Papineau et ses proches collaborateurs, qui défendaient entre autres l’origine française et l’usage de la langue française de la majorité du peuple canadien.

Car selon la résolution 52, le fait français « est devenu pour les autorités coloniales un prétexte d’injure, d’exclusion, d’infériorité politique et de séparations de droits et d’intérêts. »

Avant d’être adoptées en février 1834 par l’Assemblée législative, les résolutions faisaient l’objet de cinq jours de débats passionnés, parfois acrimonieux, qui révélaient un clivage important entre francophones, en faveur du manifeste, et anglophones, qui s’y opposaient.

Un député a traité le document de « chefd’oeuvre de démence ». Mais cette description était relativement anodine en comparaison des propos virulents du Montreal Gazette et du Montreal Herald, qui utilisaient leurs éditoriaux pour déverser leur fiel sur Papineau et son parti et sur les Canadiens en général.

Une fois que les résolutions sont adoptées, une délégation part pour Londres dans le vain espoir de trouver l’appui des autorités impériales.

Entre-temps, l’opposition anglophone ultraconservatrice s’organise à Montréal autour du nouveau rédacteur en chef du Montreal Herald, Adam Thom, un Écossais qui avait immigré au Bas-Canada en 1832.

Dire que Thom était un francophobe ne décrit pas adéquatement l’ampleur de la haine viscérale qu’il vouait à la population francophone du Bas-Canada.

Pour les Canadiens, c’était l’homme le plus détesté de la province, mais il était adulé par les marchands, les banquiers et les magistrats anglophones.

Dans ses éditoriaux virulents, il dénonçait les francophones, un peuple illettré, disait-il, dont la destinée était d’être assimilé. Et il était convaincu que ce serait par la force des armes.

Dans ce but, il a fondé le Doric Club, qui jouera le rôle déterminant que l’on sait dans le déclenchement de la Rébellion des patriotes en 1837.

RAPPORT DURHAM

C’est encore lui que lord Durham, le nouveau gouverneur dépêché au Canada, choisira comme conseiller quand il enquêtait sur les causes du soulèvement. Quand Durham rentre à Londres pour rédiger son fameux rapport, Thom l’accompagnera.

Lorsque le rapport est publié en 1839, l’influence de Thom se fait sentir dans l’analyse de lord Durham : « On ne peut guère concevoir nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que les descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont gardé leur langue et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature. »

C’est peut-être sous la dictée de Thom que lord Durham a proposé sa solution : « C’est pour les tirer de cette infériorité que je veux donner aux Canadiens notre caractère anglais. »

L’histoire nous apprend que chaque fois que le Québec essaie d’affirmer son identité linguistique en promouvant la primauté de la langue française, cela provoquera un tollé insensé dans la communauté anglophone, qui y verra une forme de persécution et une atteinte à ses libertés fondamentales.

Le Montreal Herald n’existe plus, mais il y aura toujours un autre Adam Thom prêt à pourfendre l’action du gouvernement. C’était le cas en 1977, c’est le cas aujourd’hui.

Si la devise actuelle du Québec a perdu sa signification, il est temps d’en trouver une autre, plus explicite. La solution ? Le Québec doit mettre à jour le cri d’alarme publié en 1880 de Jules-Paul Tardivel, l’un de ses plus grands défenseurs de la langue française. L’anglicisation (et pas l’anglicisme), voilà l’ennemi.

HISTOIRE

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2023-01-21T08:00:00.0000000Z

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