Le Journal de Montréal

Des sous-marins allemands se sont retrouvés au large de la Gaspésie durant la Deuxième Guerre mondiale

MARTIN LANDRY

À l’été 1942, les U-Boote, les sous-marins allemands, font la pluie et le beau temps sur l’océan Atlantique. Ils sont sournois, ils harcèlent les convois alliés qui essayent de ravitailler l’Europe en guerre. L’importance stratégique du port d’Halifax durant la Seconde Guerre mondiale explique la présence de ces submersibles nazis au large des côtes canadiennes. Leurs nombreuses incursions dans les eaux du golfe et du fleuve SaintLaurent, qui ont lieu dès mai 1942, engendrent une bataille que les historiens appelleront « la bataille du Saint-Laurent ». PLUS FORTS QUE NOTRE VIGILANCE

Les navires marchands qui voyagent sur l’Atlantique connaissent le risque que la présence des sous-marins allemands représente. Malgré les précautions qu’ils prennent, ils se font attaquer par surprise. Les assauts meurtriers des Allemands auront détruit au moins deux douzaines de navires, dont la majorité au large des côtes gaspésiennes. On estime que près de 400 personnes y ont perdu la vie.

En dépit du système de surveillance des rives mis en place par le gouvernement canadien pour découvrir et rapporter tout mouvement suspect dans cette région, nos moyens de défense restent fragiles. Les Gaspésiens sont d’ailleurs amenés à collaborer pour défendre le territoire. On leur demande entre autres d’éteindre leurs lumières avant le coucher du soleil pour nuire à l’orientation des U-Boote ennemis.

9 NOVEMBRE 1942

Dans la nuit du 9 novembre 1942, le sous-marin allemand U-518 s’approche discrètement de la Baie des Chaleurs. Il remonte sournoisement à la surface, non pas pour tirer une torpille, mais pour débarquer un homme. Des membres de l’équipage sortent alors du sous-marin, gonflent un canot pneumatique, naviguent jusqu’à la rive gaspésienne et déposent, à quelques kilomètres des côtes de New Carlisle, un espion : Werner von Janowski.

Officier du service de renseignements des forces armées allemandes, Janowski a pour mission de se rendre à Montréal afin de contacter un sympathisant nazi québécois, celui qu’on surnomme le Führer canadien, Adrien Arcand.

QUI EST ADRIEN ARCAND ?

Disciple d’Adolf Hitler, Adrien Arcand clame haut et fort son antisémitisme. Il multiplie les discours afin de faire émerger de la misère existentielle le triomphe du fascisme. Il publie régulièrement ses idées racistes et controversées, comme celle de déplacer les juifs canadiens plus au nord du territoire, près de la baie d’Hudson. Il est à la tête de nombreuses associations d’extrême droite qu’il réunit sous le signe de la croix gammée nazie.

Après avoir fondé le Parti national social chrétien du Canada, Adrien Arcand fédère d’autres partis pancanadiens à tendance fasciste. Il est admiratif du fascisme anglo-saxon et fasciné par l’Empire britannique. Dans ses discours, il expose souvent son rêve de voir naître un grand rassemblement de nations fascistes provenant des quatre coins de la planète.

Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, ce Führer canadien n’hésite pas à prédire que les fascistes prendront le pouvoir sous peu. L’histoire ne lui donne pas raison : c’est plutôt dans une prison au Nouveau-Brunswick qu’Adrien Arcand passera une bonne partie du conflit.

L’ESPION DÉBARQUÉ EN GASPÉSIE

Au petit matin, une fois débarqué sur la terre ferme, Werner von Janowski marche en direction du village de New Carlisle. L’espion allemand doit se rafraîchir et prendre le train pour Montréal. À 6 h 30, il arrive enfin aux portes d’un hôtel du village. Il entre et loue une chambre sous le faux nom de William Brenton. La préposée qui l’accueille le trouve nerveux et particulièrement malodorant.

N’oublions pas qu’il venait de passer plus d’un mois enfermé dans une carlingue sous l’océan ; il sentait la sueur et l’humidité. D’autres employés considèrent son discours comme incohérent. L’étranger s’exprime dans un drôle d’anglais, avec un léger accent parisien, et affirme par exemple être arrivé à New Carlisle en autobus le matin même et avoir marché jusqu’à l’hôtel.

Le problème, c’est que l’autobus n’est pas passé ce matin-là. De plus, il a en sa possession un vieux billet d’un dollar canadien dont la circulation a cessé depuis de nombreuses années et qui, d’ailleurs, est d’un format beaucoup trop grand pour l’époque. Le fils du propriétaire de l’hôtel remarque aussi que sa boîte d’allumettes est européenne (belge) et ne porte pas le sceau traditionnel du gouvernement canadien de cette période.

Les doutes du personnel de l’établissement se confirment quand le curieux voyageur, après un arrêt de quelques heures à l’hôtel, refait ses valises, paye la note et quitte l’endroit en direction de la gare. En entrant dans la chambre après son départ, on constate une forte odeur de diésel. Pour monsieur Annett, le propriétaire de l’hôtel, c’est une évidence : le mystérieux voyageur n’est pas venu à New Carlisle en autobus, mais à bord d’un navire.

ARRESTATION IN EXTREMIS

Discrètement, un des fils de monsieur Annett décide de poursuivre l’investigation et rejoint notre espion à la gare.

Il prend son courage à deux mains et alerte la police provinciale du Québec.

Le policier Alfonse Duchesneau prend l’affaire au sérieux et réussit à monter de justesse dans un wagon au moment où le train de Janowski quitte la gare. L’agent Duchesneau interpelle l’homme afin de connaître son identité. Ce dernier lui répond qu’il se nomme William Brenton et qu’il est un simple vendeur de radios de Toronto. Janowski essaie tant bien que mal de jouer son rôle, mais quand le policier lui demande de fouiller ses valises, il lâche prise et avoue qu’il travaille au service de l’Allemagne.

Emprisonné un certain temps à New Carlisle, Janowski est transféré à Montréal, où les autorités canadiennes l’interrogent. Werner von Janowski est finalement envoyé en Angleterre pour aider les services secrets britanniques.

Ce n’est qu’après la fin de la guerre que les Québécois ont appris la rocambolesque histoire de cet étranger allemand démasqué grâce à la vigilance des employés de l’hôtel de New Carlisle. C’est aussi seulement une fois le conflit terminé qu’on apprend que Janowski aurait collaboré, et qu’il aurait contribué à l’arrestation de nombreux espions allemands au pays. Il aurait également révélé avoir eu pour mission de contacter, entre autres, le chef du Parti national social chrétien, Adrien Arcand.

HISTOIRE

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2023-03-18T07:00:00.0000000Z

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