Le Journal de Montréal

Voici comment les colons français conservaient les aliments à l’époque de la Nouvelle-France

YVON DESLOGES Historien Collaboration spéciale

Des débuts de la colonie jusqu’au XXe siècle, la conservation des aliments pose un problème, tant pour les citadins que pour les ruraux. Avant que les avancées technologiques permettent la mise en conserve et la réfrigération domestique, les principales techniques de conservation des aliments utilisées étaient le séchage, le fumage, les agents de conservation et le froid.

LE SÉCHAGE

Les fruits et les herbes aromatiques du jardin comme le thym, la sauge, le cerfeuil ou le persil sont les principaux aliments qui bénéficient de ce procédé de déshydratation. Une variété de poisson, la morue, est aussi exposée à cette forme de conservation, cette dernière étant susceptible de se retrouver sur bon nombre de tables.

Les Autochtones déshydratent leurs bleuets et leurs atocas. Certains fruits locaux, comme la canneberge, profiteront de ce procédé en vue de leur exportation en Europe.

Certains fruits déshydratés arrivent en sens inverse dans la colonie, comme les raisins de Corinthe ou de Malaga – pour ne nommer que ces deux variétés –, les pruneaux de Tours ou d’ailleurs, sans oublier les figues.

LE FUMAGE

S’il est bien connu que les diverses nations autochtones font fumer leurs viandes et leurs poissons soit pour les consommer, soit pour les conserver, on sait moins que les premiers Français à s’établir sur le territoire dédaignaient cette façon d’apprêter les aliments, sauf pour une pratique : faire fumer le jambon. Cette pièce de viande se retrouve, à l’occasion, suspendue à la cheminée en vue de bénéficier de l’effet de la fumée.

LES AGENTS DE CONSERVATION

Au nombre des agents de conservation, il faut notamment inclure l’alcool, le sucre, le sel et la graisse. L’alcool est surtout associé aux fruits importés dans l’eau-de-vie.

Pour sa part, le sucre est accolé à la préparation de confitures, bien qu’il faille tout de suite préciser qu’au temps de la colonie française, la consommation de préparations sucrées est limitée : la consommation de sucre n’augmente considérablement chez les francophones qu’à compter du milieu du XIXe siècle, même si la France contrôlait le marché du sucre bien avant cette période.

Le principal agent de conservation utilisé est le sel qui, contrairement à la réalité française, n’est pas taxé en Nouvelle-France. On conserve donc ainsi les gras de cuisson – le beurre, le lard ou l’anguille, ce gras du carême –, certains poissons comme le saumon et l’esturgeon, sans oublier le boeuf.

Certaines préparations comme les herbes salées ajoutent du goût aux mets.

Toutefois, le sel manque à l’occasion, surtout au XVIIIe siècle ; sans sel, le cheptel dépérit, les salaisons alimentaires deviennent impossibles et toute la sécurité alimentaire est fragilisée.

Les administrateurs coloniaux n’hésitent pas à envoyer des bateaux, à partir du Québec, vers les établissements de pêche de Terre-Neuve pour s’approvisionner en sel.

Un projet de saline élaboré pour la région de Kamouraska ne verra jamais le jour, faute de main-d’oeuvre et de connaissances. Après la Conquête, le sel fait l’objet d’arrivages réguliers.

Le dernier agent de conservation, et non des moindres, est le suif fondu. Il est utilisé pour enduire les oeufs. C’est sur la recommandation du scientifique Réaumur, physicien et inventeur français, que le médecin Jean-François Gaultier adopte cette pratique ; cette façon de faire se propagera dans toute la colonie. Selon Gaultier, avant l’adoption de cet avis, on peinait à conserver ses oeufs jusqu’à la Mi-Carême.

À noter qu’avant la fin du XVIIIe siècle, chez les francophones, les marinades ne sont pas au rendez-vous.

LA CONSERVATION PAR LE FROID

Cette action s’effectue de quatre façons : par la neige, par la glace, par la congélation et par le caveau à légumes.

En 1683, l’intendant de Meulles écrit à ses supérieurs que le climat colonial offre un avantage indéniable : celui de conserver par congélation les viandes et volailles pendant « quatre à cinq mois ». Lorsque la saison froide est bien implantée, on fait congeler des pièces de viande pour les accrocher ensuite dans les greniers, autant en ville qu’à la campagne.

Au cours du XVIIe siècle, les colons français adoptent la façon de faire autochtone en creusant des trous dans la terre, en y enfouissant neige ou glace, pour ensuite entreposer les viandes par-dessus : une version moins coûteuse de la glacière.

Les plus riches, comme les administrateurs ou les institutions ainsi que les bouchers, profitent de glacières : ces bâtiments sont d’immenses réceptacles en pierre, remplis de neige, puis arrosés

avec canaux d’irrigation, au-dessus desquels un hangar abrite diverses coupes de viande et autres aliments.

Le caveau à légumes, quant à lui, avec sa température fraîche – de 2 °C à 5 °C en hiver –, a pour rôle de protéger les fruits (surtout les pommes) et les légumes du froid hivernal.

Autre façon d’utiliser le froid, c’est de laisser certains légumes, comme les choux et les poireaux, dans les jardins sous la neige.

LA GLACIÈRE DOMESTIQUE

Ces façons de pratiquer la congélation fonctionnent très bien au XVIIe siècle, puisqu’il s’agit du siècle le plus froid du dernier millénaire. Toutefois, plus le XVIIIe siècle progresse, plus les températures se réchauffent et plus les redoux s’allongent.

Ces redoux ont lieu entre les mois de décembre et de mars. Conséquence : les aliments congelés se détériorent et deviennent gâtés, du moins pour ceux qui sont seulement exposés à l’air ambiant, sans l’apport frais de la glace ou de la neige. Si la récolte n’est pas au rendez-vous, l’insécurité alimentaire s’installe et s’amplifie.

La glacière domestique ne fera son apparition que dans le dernier tiers du XIXe siècle. Son utilisation connaîtra une progression importante après la Grande Guerre. Son fonctionnement est simple : on dépose un bloc de glace dans le compartiment supérieur et on entrepose les denrées périssables en dessous.

LA CONSERVE

La boîte de conserve, bien qu’elle soit inventée en France avant d’être améliorée en Angleterre au début des années 1800, prend du temps à s’implanter au Québec et au Canada. Après que quelques-unes ont fait leur apparition au cours du siècle, les conserveries de poisson et de fruits et légumes ne prennent vraiment leur envol qu’au cours des années 1880.

À Montréal, dès 1889-1890, la compagnie S. S. Gareau produit du ketchup aux tomates, des marinades et de la moutarde, mais il s’agit d’une aventure éphémère ! L’adoption par les Québécois des conserves ne se fait qu’après la guerre de 1914-1918.

À Québec, en 1914, la Jean-Baptiste Renaud & Cie lance la Old City Manufacturing, qui exploitera la marque Reno.

CONCLUSION

Les améliorations technologiques que sont la conserve et la réfrigération domestique ont facilité la transition printanière et atténué l’insécurité alimentaire.

Cependant, comme on peut facilement le constater, antérieurement, chaque printemps représentait un éternel défi, qu’il s’agisse des aléas du temps (les redoux), de la pénurie de produits (le sel, notamment), de mauvaises techniques (pour les oeufs) ou encore de mauvaises récoltes.

Il faut ajouter que le carême se superposait à ce défi agroalimentaire, puisque pendant ces 40 jours d’abstinence, les viandes risquaient de s’altérer.

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2023-03-18T07:00:00.0000000Z

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