Le Journal de Montréal

McGill : cachez ce nom que nous ne saurions voir !

Récemment, un journal étudiant de l’Université McGill a choisi de retirer de son nom celui du fondateur de l’institution, James McGill, de sorte que le McGill Tribune est devenu The Tribune.

GILLES PROULX Chroniqueur Collaboration spéciale

Fréquemment vandalisée par des étudiants, la statue de McGill a été retirée de son emplacement sur le campus il y a deux ans pour être réparée.

Reviendra-t-elle ? On la juge gênante ! La raison de cette purification qui veut sortir le nom « McGill » du décor ?

On reproche à James McGill d’avoir eu dans sa maison au moins cinq esclaves domestiques, autochtones ou noirs.

Qui plus est, on lui reproche d’avoir fait affaire avec des compagnies britanniques qui oeuvraient dans la fabrication de rhum ou la récolte de tabac ou de canne à sucre… des domaines où la Grande-Bretagne appuyait sa domination en utilisant sans vergogne de la main-d’oeuvre esclave.

Je ne vais pas m’ériger en juge dans cette affaire, mais je ferai remarquer que c’est très anachronique de faire le procès d’un homme né au milieu des années 1700, qui évoluait dans un Empire, celui de la Grande-Bretagne, qui a aboli l’esclavage en 1834… après la mort de McGill.

Qui est coupable, lui ou son époque ? À quand le bannissement de l’Union Jack ?

AVENTURIER FORTUNÉ

Né en 1744 à Glasgow en Écosse et mort à Montréal en 1813, la destinée de McGill ne fut pas banale.

Lui-même empêché par un revers de fortune familial de terminer ses études à l’université de Glasgow, il se vengera de ce coup du sort en donnant son nom à ce qui sera l’institution de haut savoir la plus réputée du Canada, la Harvard du Nord.

Quand McGill arrive chez nous au lendemain de la Conquête dans les années 1760, sa fortune n’est pas accomplie du tout.

Loin de porter des pantoufles en se la coulant douce près d’un feu, McGill va passer près de dix ans d’aventure comme homme d’affaires sur le terrain avec les coureurs de bois.

Il se démarque par sa connaissance parfaite du français et, sur le terrain, certainement, il a été proche des gens du peuple et sa connaissance des cultures amérindiennes.

Il épouse une Française et adopte ses enfants, qu’il traitera en héritiers, et pas comme des inférieurs.

On ne sait pas ça, mais James McGill a toujours eu le souci de la chose publique et il a même été élu à la toute première Assemblée législative du Bas-Canada en 1791.

Il a toujours été impliqué dans la milice et, en 1812, pendant le conflit avec les États-Unis, il se retrouve en plein coeur du conflit.

Heureux en affaires, il devient si fortuné que rapidement la population de Montréal verra en lui son plus riche concitoyen.

Sans doute aurait-on oublié ce James McGill aujourd’hui s’il n’avait pas eu la bonne idée de céder ses terres au pied du mont Royal ainsi qu’une somme énorme à la création d’une institution de haut savoir.

On a tort de dire que McGill a « fondé » McGill… L’université a commencé ses activités un peu moins de dix ans après son décès.

L’exemple de James McGill nous enseigne que si l’argent n’achète pas l’amour, comme le chantaient les Beatles, il peut procurer un immense prestige. Son nom est décrié par une minorité criarde, mais, pour l’ensemble du monde, McGill est une université admirable.

Pareillement, le docteur Alfred Nobel, qu’un journal français décrivait comme s’étant enrichi en permettant de tuer plus de gens plus vite grâce à ses explosifs, a su transformer son nom en emblème du génie humain avec la création posthume des prix Nobel.

Je crois que le nom McGill va traverser encore quelques « tempêtes », que lui feront des manifestants professionnels, mais il va rester et continuer de briller… car voilà une chose que l’argent philanthropique est capable de faire : jaillir du prestige autour d’un nom.

HISTOIRE WEEKEND

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

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