Le Journal de Montréal

Du Ku Klux Klan au Convoi de la liberté : l’extrême droite au Canada

NORMAND LESTER Chroniqueur Collaboration spéciale

La droite populiste est en marche au Canada anglais, comme l’ont démontré les mouvements de protestation contre les politiques de santé publique pour contrer la pandémie. L’extrême droite espérait que le « Convoi de la liberté », qui a occupé Ottawa pendant des semaines, se transforme en version canadienne de l’insurrection du Capitole de janvier 2021 à Washington. C’est un courant qui vient de l’Ouest. Et ça remonte à loin.

Lors de sa défaite en 2015, le Parti progressiste-conservateur de l’Alberta était au pouvoir depuis 44 ans, dépassant son prédécesseur créditiste qui avait gouverné pendant 36 ans. L’Alberta est considérée comme la province la plus socialement conservatrice du Canada.

LE KKK AU CANADA

Le racisme et le mépris à l’endroit des minorités ont longtemps été un comportement courant au Canada anglais, du Nouveau-Brunswick à la Colombie-Britannique en passant par l’Ontario. Dans les années 1920, la Saskatchewan et le Manitoba ont été des terreaux particulièrement fertiles pour le Ku Klux Klan, l’organisation terroriste suprémaciste blanche américaine.

Pour le Klan canadien, seuls les Blancs protestants et anglo-saxons devraient obtenir la citoyenneté canadienne. Tous les autres devraient être bannis ou, à tout le moins, ne pas pouvoir voter.

Le KKK canadien profite d’une longue tradition de fanatisme et d’intolérance incarnée par l’Ordre d’Orange. Importé d’Irlande du Nord, l’ordre fut un phénomène social important au Canada anglais, regroupant une bonne partie de l’élite et une fraction non négligeable de la population. Le premier ministre John A. Macdonald en était membre.

Les orangistes vont jouer un rôle de premier plan dans la création du KKK canadien. De nombreux orangistes vont adhérer au groupe raciste qui prêche, outre celle des Noirs, la haine des catholiques, des Canadiens français et des Juifs.

CONSERVATEURS ET KLANISTES, MÊME COMBAT

Si le KKK canadien n’a jamais été un parti de masse, il joua un rôle significatif sur l’échiquier politique canadien avant et durant la Grande Dépression, particulièrement en Alberta et en Saskatchewan. Le KKK dans cette province va être créé par deux klanistes américains, Pat Emmons et Lewis Scott, des escrocs. Ils disparaîtront avec quelque 169 000 $ provenant de la caisse du KKK canadien.

Le KKK en Saskatchewan n’est pas seulement antinoir, anticatholique et antisémite : il est violemment antifrançais. Avec le soutien de la hiérarchie protestante, klanistes et orangistes montent des campagnes contre l’utilisation du français dans les écoles. Les Canadiens français ne représentent pourtant que 5 % de la population de la province.

En 1928, l’organisation tory en Saskatchewan était dominée par des membres et des sympathisants du Klan. Parmi les délégués au congrès du Parti conservateur provincial figurent un certain Rosborough, le « grand sorcier » du KKK local au côté du futur premier ministre de la province, James Anderson. Porté au pouvoir en 1929 à la tête d’une coalition, Anderson, partisan du « English only » va immédiatement adopter les politiques antifrançaises prônées par le KKK.

L’un des torys influents de Saskatchewan, l’avocat et orangiste J. F. Bryant, futur ministre des Travaux publics, encourage son chef fédéral R. B. Bennett, qui deviendra premier ministre du Canada en 1930, à soutenir le Klan*.

Walter Cowan, trésorier du Klan et membre du Parti conservateur, écrit à Bennett que le KKK était « l’organisation politique la plus achevée de tout l’Ouest canadien ». Bennett siégeait au conseil d’administration du Daily

Star de Saskatoon, qui était ouvertement favorable au Klan et propageait sa doctrine. Au Québec, il finançait secrètement les journaux antisémites du leader fasciste Adrien Arcand.

QUAND DIEFENBAKER S’ADRESSAIT AUX KLANISTES

Le Klan est tout aussi populaire en Alberta. En 1931, on y compte plus de 50 cellules (« kavernes » dans le langage du KKK), dont 7 à Edmonton.

Même s’il n’en a jamais été membre, le premier ministre John Diefenbaker, qui deviendra premier ministre fédéral et qui jouit d’un immense respect au Canada anglais, était proche lui aussi du KKK au début de sa carrière politique. À l’occasion d’élections complémentaires dans le comté de Red Deer en Alberta, en 1928, l’orangiste Diefenbaker a pris la parole au cours d’une assemblée organisée par le KKK y déplorant que l’enseignement du français fût obligatoire dans les écoles publiques de sa circonscription.

J. J. Maloney, un des leaders du Klan albertain, sera éventuellement condamné à une peine de prison pour avoir détourné des fonds du KKK. Sa déchéance marquera la fin du KKK en Alberta.

* Martin Robin, Le Spectre de la droite. Histoire des politiques nativistes et fascistes au Canada entre 1920 et 1940, Montréal, Balzac-Le Griot, 2000, p. 69.

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

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