Le Journal de Montréal

COMPRENDRE LA FAMEUSE « PROJECTION »

Dre CHRISTINE GROU Psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

« Arrête de faire de la projection ! » Vous a-t-on déjà servi cette réplique ou l’avez-vous déjà vous-même prononcée ? Faire de la projection est un phénomène courant dont les contours peuvent être difficiles à saisir. Alors, c’est quoi faire de la projection ? Sauriez-vous la reconnaître et savoir l’éviter ?

La projection est en fait un mécanisme avant tout involontaire ou inconscient qui consiste à attribuer, à « projeter », une émotion, une crainte, un sentiment, voire un désir – qui nous appartient – vers quelqu’un d’autre. Elle consiste donc à projeter en l’autre ce que l’on refuse en soi.

Il s’agit d’un mécanisme de défense, car ce faisant, la projection nous protège, d’une certaine manière, de nos angoisses. On peut également en venir à projeter un trait de notre personnalité ou de notre fonctionnement avec lequel nous ne sommes pas en paix ; en l’attribuant aux gens qui nous entourent, on se protège, on prend une distance et on évite par la bande de se remettre en question.

Faire porter à autrui le poids de nos émotions ou de nos angoisses peut devenir assez lourd pour la personne qui les reçoit, surtout si ce modus operandi devient la règle plutôt que l’exception. Lorsque cette dynamique s’installe, la projection peut mener à s’éloigner de l’autre.

SAVOIR FAIRE LA PART DES CHOSES

Il faut savoir que les mécanismes de défense sont normaux, ils sont nécessaires à notre équilibre et nous permettent de nous adapter. Il est impossible de s’y soustraire.

Cela dit, il arrive que certains de ces mécanismes, lorsque trop présents, posent problème : il faut alors en prendre conscience et s’y attaquer.

Ceux et celles qui ignorent ce phénomène (tout en l’utilisant à outrance !) sont souvent surpris par l’exaspération ou l’usure qu’ils peuvent générer. Parce qu’à toujours blâmer les autres de leur agressivité sans jamais chercher à savoir s’ils n’en portent pas une bonne part, ces gens finissent par épuiser les réserves de patience de tout le monde.

Prenons l’exemple d’une personne qui croit fermement que ce sont toujours les autres qui la font sentir mal à l’aise. Elle finira par se retirer et éviter certains contacts, sans se donner l’espace pour assimiler ce malaise. Ou encore, elle deviendra de plus en plus convaincue de la perception négative qu’ont les autres à son égard. Il vaudrait alors peut-être mieux admettre que le malaise lui appartient et en comprendre les raisons profondes plutôt que d’attribuer des intentions aux autres.

ÉVACUER NOS FRAGILITÉS

Avez-vous remarqué à quel point certains collègues s’épuisent à dire du mal de leur patron ? Ils le font parfois à des moments révélateurs, peu de temps avant leur évaluation, par exemple. Ces travailleurs énumèrent les aspects déplaisants de leurs supérieurs plutôt que de s’approprier leur déception de leur rendement et de leur performance au sein de leur entreprise.

Au cours de ma pratique, j’ai accompagné une patiente qui, suite à un important traumatisme, devait se déplacer en triporteur. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cette femme était gênée de l’utiliser, refusant de « faire pitié » aux yeux des autres. Un jour, je lui ai demandé quel était le regard qu’elle portait sur les personnes à mobilité réduite avant son accident ; sa réponse nous a ouvert une voie thérapeutique. Elle a réalisé que c’était son propre jugement, celui du temps où elle était en bonne santé, qu’elle transposait sur les passants. Je lui ai demandé s’il lui venait à l’esprit que les gens pouvaient avoir un regard admiratif devant le courage d’une personne handicapée qui s’adaptait de la sorte. Peu à peu, cette nouvelle vision des choses a fait son chemin, et a fini par changer le regard qu’elle projetait dans les yeux des autres, lors de ses déplacements.

Le phénomène de la projection n’est pas toujours aussi excessif, mais peut brouiller nos rapports avec les autres, même les gens qu’on aime.

J’ai l’habitude de manger une fois par mois avec un ami, rituel auquel nous tenons beaucoup. Par contre, il lui est arrivé souvent de devoir déplacer le rendez-vous, nous forçant à modifier nos plans. À chaque fois, il me dit que cela fait trop longtemps, ajoutant systématiquement que je suis « tellement occupée » plutôt que d’assumer ce qui émane de son propre style de vie.

En résumé, le phénomène de la projection nous force à apprendre à lire entre les lignes, à séparer le bon grain de l’ivraie, et comme on dit, à en prendre et à en laisser.

Alors la prochaine fois que votre conjoint vous dira que vous avez besoin de vacances alors que vous n’en ressentez pas le besoin, peut-être pourriez-vous envisager l’hypothèse qu’au fond… il préfère seulement être seul et se reposer !

PSYCHO WEEKEND

fr-ca

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

https://jdm.pressreader.com/article/283339001626428

Quebecor Media