Le Journal de Montréal

DE L’INTIME À L’UNIVERSEL

JEAN-DOMINIC LEDUC Collaboration spéciale

La popularité du genre autobiographique en bande dessinée n’affiche aucun signe d’essoufflement depuis les premières publications de l’américain Robert Crumb dans les années 60. Car, malgré le ressenti de l’artiste se mettant en scène, elles ont surtout pour objectif de témoigner du monde dans lequel nous vivons. Voici deux extraordinaires albums qui nous rappellent qu’il ne tourne pas rond.

Alors que Riad Sattouf concluait L’Arabe du futur en janvier dernier – populaire série qui a ouvert nos perspectives quant à la réalité géopolitique du Moyen-Orient –, voilà qu’un auteur d’origine turque lançait au même moment le premier volet de son formidable Journal inquiet d’Istanbul.

Ersin Karabulut, qui avait précédemment publié la série Contes ordinaires, ouvrage composé de courts récits d’anticipations aux Éditions Fluide glacial, marque un grand coup avec le récit de ses tribulations d’aspirant bédéiste sous le régime d’Erdogan.

« Dès la publication de mes bandes dessinées en français, les questions les plus courantes que je recevais des lectrices et lecteurs étaient : que s’est-il vraiment passé en Turquie ? Comment est-ce d’être dessinateur en Turquie ? C’est pourquoi j’ai cru que c’était le bon moment pour présenter aux lecteurs européens mes récits autobiographiques en répondant à ces questions », explique l’artiste à l’autre bout du clavier.

« En plus, j’aime les bandes dessinées autobiographiques, j’aime lire sur la vie d’autres artistes et apprendre ce qui les place là où ils sont. J’essaie simplement de faire des livres que j’aimerais lire. »

Dès son plus jeune âge, Ersin Karabulut se passionnait pour la bande dessinée. À l’adolescence, il publiait ses premières illustrations dans un journal satirique, au grand dam de son père, inquiet.

DANS L’OMBRE DE CHARLIE HEBDO

« Ça a toujours été un danger de désigner des gens puissants en Turquie et de faire de l’humour à leur sujet, surtout aujourd’hui. »

Les attentats de Charlie Hebdo en 2015 ont sonné le glas d’une certaine innocence quant à la liberté d’expression. Malgré tout, l’auteur persiste et signe.

« Je n’en ai pas peur. Si c’est mon rôle, je l’accepte. Je veux juste communiquer avec les gens, avec ce que j’ai, parce que sinon les choses n’iront pas dans le bon sens pour aucun d’entre nous. Si j’arrive à faire comprendre à un Occidental que la démocratie, qu’il prend comme une chose acquise, peut facilement lui être volée, je considère alors avoir fait mon travail. »

Journal inquiet d’Istanbul est une retentissante réussite. L’auteur navigue habilement entre rires aux larmes, excellant tant dans la caricature que dans le réalisme, du point de vue graphique.

Dosant savamment militantisme, éducation et vie privée tout en livrant une ode au genre, Ersin Karabulut propose le premier tome d’une série qui a tout pour devenir un classique.

Plus que jamais, le 9e art peut être un rempart à la bêtise et la barbarie.

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