Le Journal de Montréal

Un beau roman à l’ancienne

Avec L’ancien calendrier d’un amour, l’écrivain français d’origine russe Andreï Makine nous offre encore une fois un magnifique roman.

KARINE VILDER Collaboration spéciale

À l’automne 1991, dans la partie russe d’un cimetière des environs de Nice, Andreï Makine a croisé par hasard un très vieil homme. Et en allant s’asseoir à ses côtés sur un banc, le vieillard a commencé à lui parler de sa vie. De toute sa vie.

Plus de 20 ans après cette rencontre, on peut à notre tour découvrir l’incroyable existence de Valdas Bataeff, Andreï Makine ayant entrepris de la raconter à sa manière dans L’ancien calendrier d’un amour.

« J’ai attendu tout ce temps pour ne pas trahir l’authenticité de sa voix, explique l’écrivain qu’on a pu joindre à Paris. Je trouvais important de laisser ce recul à cet homme, qui continuait à vivre en moi.

« La Première Guerre mondiale, la révolution de 1917, la chute de l’empire, la guerre civile russe, la Deuxième Guerre mondiale, la Résistance… Valdas Bataeff a traversé les principaux événements du XXe siècle et la tentation était forte d’écrire un roman historique. Mais je voulais que cette épopée reste intime, qu’il y ait une alchimie entre la grande histoire et la vie de Valdas.

« Comment dire… Ce qui m’intéressait, c’était de raconter le XXe siècle, mais vécu de l’intérieur, à hauteur d’homme. Le regard subjectif sur l’histoire est, à mon avis, plus intéressant que les grandes sommes de l’histoire. »

COMÉDIE HUMAINE

En 1913, l’année du tricentenaire de la dynastie impériale des Romanov, Valdas Bataeff a 15 ans. Donc trop jeune pour voler de ses propres ailes, mais assez vieux pour déjà comprendre bien des choses. Par exemple, qu’il n’y a pas de différences majeures entre la réalité et les pièces de théâtre que sa belle-mère organise dans le but de divertir ses amis.

À la ville comme à la scène, les gens s’aiment, se trompent et se déchirent. Depuis que Raspoutine est dans les parages, même la tsarine en personne semble se prêter avec plaisir à ce genre de petit jeu.

Voilà peut-être pourquoi, pendant ses vacances estivales au bord de la mer en Crimée, Valdas sera-t-il à peine surpris d’assister à un tout autre genre de spectacle : dans une crique située non loin de la villa de son père, des gendarmes ont pris en chasse des contrebandiers de tabac.

Parmi eux, Taïa, une fille du peuple qui ne le laissera pas indifférent. Sauf qu’il pourrait difficilement y avoir pire époque pour tomber amoureux. Après la mobilisation générale, la Grande Guerre et la révolution, au cours desquelles l’unité de Valdas sera chargée de transporter les cadavres, le pays entier va être ravagé par la guerre civile. Armée blanche contre Armée rouge avec, au centre, des dizaines de milliers de citoyens torturés, égorgés, fusillés.

Au début des années 1920, alors que les bolchéviques continuent à abattre sans ménagement tous les contrerévolutionnaires, Valdas reverra Taïa en Crimée. Aussi intense que brève, cette relation amoureuse transcendera tout le reste de son existence et inspirera à l’auteur du Testament français et de L’archipel d’une autre vie le titre de ce roman.

« Le calendrier julien, qui était le calendrier de l’empire russe, avait deux semaines de retard sur le calendrier grégorien, précise Andreï Makine. À la fin de la révolution, Lénine l’a remplacé par le calendrier grégorien afin que la Russie rejoigne le monde occidental. D’ailleurs, les Russes ne s’y sont jamais habitués et ils fêtent le Nouvel An en double !

« Mais pour Valdas et Taïa, ça sera une parenthèse enchantée, un moment en dehors du temps où ils vont partager un amour vertigineux et extrêmement discret, presque sans paroles. »

TOUJOURS D’ATTAQUE

Et puis il y aura l’après : la fuite précipitée, l’exil en Serbie d’abord et en France ensuite, la pauvreté, les idées suicidaires et le dur travail de chauffeur de taxi, qui amènera Valdas à croiser toutes sortes de gens.

« En 1932, Paul Doumer, qui était alors le président de la République française, a été assassiné par un immigré russe, rapporte Andreï Makine. C’est l’histoire qu’on connaît mal et même les historiens me disent : “C’est vrai, on avait oublié !” Sur les chauffeurs de taxi russes, cette affaire a eu un impact important, car ensuite, les Russes ont été détestés et se faisaient insulter. »

Ça n’empêchera pas Valdas de tenir le coup et de presque toucher du doigt le XXIe siècle, le destin lui réservant encore quantité de surprises. Certaines bonnes, d’autres mauvaises, mais toutes relatées avec finesse et bienveillance par l’académicien Andreï Makine.

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