Le Journal de Montréal

Recrutés à l’école avant d’être compétents pour l’emploi

Les experts s’inquiètent des impacts à moyen et long terme du phénomène

FRANCIS HALIN ET JULIEN MCEVOY

« LES GARS VONT TROP VITE SUR LE MARCHÉ ET NE VONT PAS FINIR LEUR COURS PARFAITEMENT » – Scott Eteson, professeur à l’École des métiers de la construction de Montréal

Les jeunes sont de plus en plus nombreux à abandonner leurs études afin d’aller travailler pour des patrons qui ne se gênent plus pour venir les chercher sur les bancs d’école avant la fin de leur formation.

Dans la classe de Scott Eteson, professeur à l’École des métiers de la construction de Montréal, un étudiant sur quatre quitte sa formation pour aller travailler dans le privé.

« On se fait voler des étudiants. Je ne pense pas que c’est bon, mais d’un côté, je peux comprendre le gars de 25 ans qui a un loyer à payer », observe-t-il.

Pour Danielle Venne, enseignante au Centre de formation Le Chantier, il faut bouger pour renverser la vapeur.

« On implante le travail-études parce qu’il y a des étudiants qui se font approcher durant leurs parcours », explique-t-elle.

« Il faut laisser les étudiants finir leurs cours », estime également Éric Boisjoly, directeur général de la FTQ Construction.

Au Journal, le ministre du Travail sortant, Jean Boulet, reconnaît qu’il peut être « tentant » de recruter des étudiants avant la fin de leur formation.

Il dit avoir « multiplié par quatre » le budget des programmes d’alternance travail-études pour éviter que les jeunes ne terminent pas leur formation.

ET PLUS DE GENS SANS FORMATION

À l’École des métiers de la restauration et du tourisme de Montréal, le privé attire les étudiants comme un aimant.

« Ça favorise le décrochage. Les jeunes sans 5e secondaire se font engager partout maintenant », déplore sa directrice Jennifer Ouellette.

Récemment, le nombre d’inscrits à ses cours a chuté.

« C’est un problème plus large que notre école, ça va avoir un impact à moyen [et] long [terme] », dit-elle.

Les futurs serveurs sont passés de 17 à 6, les futurs cuisiniers de 205 à 142 et les futurs sommeliers de 25 à 11 en trois ans.

« On va se retrouver avec une majorité de gens en emploi qui seront sans formation. Les serveurs n’ont pas les bases et les cuisiniers n’ont carrément pas les bonnes procédures et les principes de sécurité », illustre-t-elle.

Jennifer Ouellette est loin d’être seule à devoir vivre avec cette saignée.

« Le problème avec nos étudiants, c’est de les faire diplômer. Le monde saute dessus. Je me bats pour leur dire de rester jusqu’à la fin », s’exclame Liza Frulla, directrice générale de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.

À l’École nationale d’aérotechnique, on pourrait accélérer la cadence.

« Je pourrais avoir facilement 500 étudiants de plus à l’école », affirme son directeur, Pascal Désilets.

Pour Marc Lalonde, professeur au département propulseur, les tâches manuelles suscitent moins d’intérêt qu’avant.

« On a 40 % qui poursuivent à l’université après leurs diplômes d’études collégiales [DEC]. Pour eux, c’est bien, mais pour le marché, ce n’est pas bien », conclut le coordonnateur des programmes de l’ÉNA.

Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) veut valoriser les métiers de la construction auprès des jeunes, de plus en plus absents d’un secteur qui cherche à pourvoir 17 000 postes vacants.

ARGENT

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2022-09-27T07:00:00.0000000Z

2022-09-27T07:00:00.0000000Z

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