Le Journal de Montréal

Ce qu’on fait avec notre histoire collective

MARIE-FRANCE BORNAIS

Romancière très remarquée depuis la parution de ses livres Virginia et Le Courage qu’il faut aux rivières, Emmanuelle Favier propose cette année La Part des cendres. Cette fresque monumentale examine ce dont on hérite et ce qui nous fut enlevé, à travers l’Histoire. Elle montre aussi ce qu’on fait avec notre histoire familiale et collective, et comment on se débat avec les blessures du passé.

En 1812, la jeune Sophie Rostopchine fuit Moscou, que son père, gouverneur, vient de faire incendier après l’attaque de l’armée impériale de Napoléon 1er. C’est cette même Sophie qui deviendra plus tard la comtesse de Ségur et qui créera le célèbre personnage de Sophie.

Henri Beyle, qui n’est pas encore Stendhal, traîne dans la ville en flammes. Napoléon, humilié, s’enferme au Kremlin. Rien ne va plus dans ce monde. Sophie, pendant son exil vers Paris, a dissimulé son journal dans un coffret. On a perdu la clef, mais ce trésor va réapparaître au fil des décennies, pendant deux siècles de guerre et de pillage.

Emmanuelle Favier, formidable écrivaine, s’est plongée tête première dans de longues recherches pour écrire ce roman très dense, riche en détails historiques, qui accorde une grande place à l’art.

« Le point de départ, c’est vraiment ma rencontre avec Muriel de Bastier, à qui je dédie le livre, qui travaille depuis 20 ans sur les spoliations, c’est-à-dire sur la recherche de provenance des oeuvres et leur restitution, quand c’est possible », commente-t-elle, en entrevue depuis Paris.

« Ce qui m’intéressait, c’était vraiment comment aujourd’hui on traite cette question. Notre héritage, finalement, de cette guerre et de tous ces épisodes tragiques. Comment on essaie de réparer, encore aujourd’hui, les plaies d’un passé qui n’est finalement pas vraiment le nôtre, puisque ce sont maintenant les générations de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents. »

HÉRITAGE

L’expérience de Muriel de Bastier, son désir de raconter et de témoigner de tout ce qu’elle avait vécu a rejoint les propres obsessions d’Emmanuelle Favier sur la question de l’héritage, de la transmission, des déterminismes, explique-t-elle.

« Notre histoire familiale, notre histoire collective, notre histoire mondiale et ce qu’on fait avec tout ça, comment on se débat avec tout ça : ce sont mes propres obsessions que je traite dans tous mes romans. »

Très rapidement, il lui est apparu qu’il fallait qu’elle parle des écrivains et de la littérature. « Ce dont j’hérite le plus, c’est la littérature. C’est ça, mon histoire, ma famille. Mon rapport à l’Histoire est lié à l’histoire de la littérature. Ma famille, mes modèles sur lesquels je m’appuie, ce sont les écrivains. Et quel est le premier écrivain qu’on lit, en tout cas quand on est une petite fille ? C’est la comtesse de Ségur. »

Le manuscrit est le premier objet qu’on va suivre, au fil de ce périple de deux siècles. « J’ai voulu que ce soit un manuscrit inédit, inconnu, imaginaire peut-être, de la comtesse de Ségur, qui est le premier auteur qu’on lit. »

WEEKEND / LIVRES

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2022-11-26T08:00:00.0000000Z

2022-11-26T08:00:00.0000000Z

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